En 1966 la vague psychédélique rock bat son plein de San Francisco à Londres. Ce courant vit le jour dès 1965 avec les expérimentations sous narcoleptiques des groupes majeurs tels que The Beatles (« Help » et « Rubber soul »), The Byrds («Mr Tambourine Man » et « Turn Turn Turn »), les albums éponymes de The Zombies et The Pretty Things,… The 13th Floor Elevators formé au Texas en 1966 leur emboîtera le pas avec un grain de folie supplémentaire. Cette formation est constituée par Roky Erickson (chant/guitare), Ronnie Leatherman (basse), John Ike Walton (batterie), Stacey Sutherland (guitare) et Tommy Hall (electric jug). Les texans associent à la fois un style garage rock et psychédélique. Ce fut d’ailleurs le premier groupe de l’histoire à écrire le mot « psychédélique » sur un titre d’album. Ce fut aussi le premier groupe à publier une pochette d’album à proprement parler psychédélique et laquelle est un hommage pictural au LSD.
Résolument subversifs, les 13th Floor Elevators étaient la cible constante des flics aux USA en raison de leur consommation doublée d’une totale apologie des drogues. Le groupe construit sa musique sur le socle d’une philosophie appelant l’homme à ouvrir son cerveau à de nouvelles perceptions dans la droite pensée de Timothy Leary et d’Aldous Huxley dont les Doors et spécialement Jim Morrison se fera le disciple. Les drogues hallucinogènes telles que le LSD, les champignons et la mescaline permettant de libérer son esprit. Le fait d’altérer chimiquement son état mental est présenté comme un moyen pour accomplir cette quête.
Quasiment 50 ans après la parution de ce premier disque du groupe (dont la carrière s’arrêta net en 1969 après de multiples arrestations pour possessions de drogues ; Roky Erickson interné en asile psychiatrique…), on comprend mieux d’où nous viennent les influences de groupes comme Jesus & The Mary Chain, Primal Scream dans les années 90 et plus récemment MGMT, Tame Impala, Pond, Temples (il suffit d’écouter les motifs de guitare de « Tried to hide », « Reverbaration » et « Roller coaster ») etc. Bref toute la scène néo psychédélique actuelle.
La production est complètement datée, le son est crasse (base même du garage rock = peu de moyens financiers), mais c’est l’instantané d’une époque folle et à la créativité sans limite… C’est sous cet angle quasi archéologique qu’il faut apprécier cet album. Un monument du psché rock. Les guitares bourdonnent, grésillent, autour de boucles oniriques, orientalisantes mais suffisamment pop pour être « catchy ». Erickson et Sutherland comptent parmi les pionniers en matière d’utilisation d’effets réverbe, fuzz et écho dans les guitares pour leur donner ce son bourdonnant et carillonnant, entêtant… Ce que l’on appelle aujourd’hui le son dit « drone ». Des guitares superbement inspirées avec leur influence hispanisante dans les arrangements. Roky Erickson déverse ses incantations avec le timbre écorché d’un bluesman abandonné sur le travers de la route. Tel un gourou, il prêche sans relâche de sa voix monocorde et possédée à l’image de « Reverbaration » et « Monkey Island » aux assonances très Janis Joplin. Il y aussi du Love dans le joli et solaire « Spash 1 », seule chanson de l’album au son typiquement West Coast.
Fait remarquable, atypique et unique, le groupe se dote d’un instrument improbable ! Une cruche électrique alias electric jug jouée par Tommy Hall, l’autre gourou de la formation. Un son indescriptible, tribal, élastique, plastique, caoutchouteux joué sans relâche, à tel point que cela finit par vous flinguer le cerveau… Un son cinglé, démentiel au sens figuratif du terme… La signature du groupe. Signature d’un groupe qui savait également maîtriser son blues cradingue (« Thru the rhythm ») qui sera l’ancêtre du courant garage rock. Un groupe doublement précurseur de la vague psyché rock (on adore le twist déjanté de « Fire engine » qui ravive la flamme d’Austin Powers) et de la vague garage rock. « You’re gonna miss me » en est l’archétype par excellence.
Un groupe et un premier album à ne pas oublier tant il fut majeur dans ce qui suivit dans l’évolution du rock. Surtout si vous êtes fans des groupes cités plus haut.
Une production et un son datés mais témoins d’une époque (un remastering mériterait de rendre justice à cet album culte et précurseur). C’était il y a 50 ans. Il faut aussi se remettre dans le contexte. En revanche les arrangements de guitare sont un modèle du genre !