“On My One” est dans les bacs. Joie. Que vaut le nouvel offertoire du petit prodige de Nottingham qui avait frappé d’entrée de jeu à 18 ans avec un premier album éponyme fascinant et remarquable. Un revival folk rock à la sauce anglaise qui sidérait par la maturité brute des compositions et la morgue toute britannique du garçon. Un an après, en 2013, il sort “Shangri La”. Moins bon que le chef d’œuvre initial. Dans un monde où la frénésie est reine, se cantonner à un seul style relève du suicide commercial. Une hérésie qui abîme des talents, des carrières. Certains s’en foutent royalement et parviennent à résister. C’est le cas du jeune lad anglais. Coincé entre underground, scène indépendante et lumière médiatique. Laquelle s’était brusquement et avidement emparée de lui. Pourvu qu’il tienne nous disions-nous. Pourvu qu’ils ne devienne pas un “sell out” comme disent nos chers amis d’outre-manche. Un “vendu” ayant succombé aux sirènes du mainstream. Ce deuxième disque fut un Fort Alamo. Un bastion de résistance et d’intégrité artistique.
Alors en 2016, à 22 ans et déjà une troisième galette sous les bras, on se repose la question. Car “Shangri La” a bien moins marché commercialement que le premier disque. En 2016, Jake Bugg n’est plus la coqueluche des médias, ce phénomène labellisé “new Bob Dylan”. Le bonhomme n’en a cure. Il s’isole seul en studio et produit lui-même la quasi-totalité de son troisième disque. Audacieux.
A l’arrivée ? Un album qui rompt partiellement avec les deux précédents. La flamme folk & blues acoustique est toujours là à l’image du titre introductif (On my own) enregistré façon “lo-fi”. Une guitare sèche lancinante et blafarde qui s’arrime à une casse claire esseulée en guise de rythmique minimaliste. Joli. Et familier. Le natif de Nottingham aurait-il décidé de s’ancrer dans son pré-carré folk/blues/country traditionnel ? La chanson qui suit est un pied de nez. Schisme. Choc. Bugg envoie tout promener avec ce Gimme the Love brutal et surprenant. On est pas loin du malaise. Jake Bugg décoche un rock façon jungle/rock industriel qui rappelle Prodigy et les tribulations expérimentales de David Bowie sur “Little Wonder”. Sur un rythme technoïde, on se croirait en pleine rave. Jake Bugg s’aventure, ce n’est pas totalement foiré (le refrain est accrocheur) mis à part cette intro de boîte à rythme abominable et une production pas loin de verser dans le mauvais goût.
L’enchaînement avec Love, Hope And Misery déconcerte à nouveau. Ce mélange des genres est atypique et hors-sujet. Une fois la chicane dans le rétroviseur, on se laisse bercer par cette ballade un peu guimauve qui rappellent des chanteuses de l’acabit de Duffy. Un refrain dégoulinant de romance. Les arrangements mielleux abîment cette chanson qui mise à nu dans son plus simple appareil acoustique aurait été bien plus aboutie.
The love we’re hoping for nous réconcilie avec le Jake Bugg qu’on aime. Sur cette ballade folk à l’intensité dramatique, son timbre étreint. Neil Young et America instillent leur nectar dans cette composition signée en forme de roadtrip western. Put out the fire et sa country old school nous ramène au bon souvenir de Johnny Cash et Woody Guthrie. Un exercice dans lequel l’anglais excelle.
On passera sur le niaiseux Never Wanna Dance… Une ballade soul sucrée et sexuelle surproduite qui enfonce les travers déjà entendus sur Love, Hope and Misery… Jake Bugg tente un registre Motown en lorgnant du côté de Marvin Gaye. En vain…
Les cinq derniers titres sont en revanche une réussite. Il y a d’abord Bitter Salt. Un tempo martial. Un refrain dévastateur. Des saillies de guitare affûtées comme des lames de rasoir. Les légers arrangements electro et bidouillages au phaser sur la voix n’étrillent heureusement pas la chanson. Un solo conclue l’affaire. Comme pour rappeler que la substantifique moelle reste bien… Rock.
Le sommet du disque ? Un titre de folk/hip hop comme savaient si bien les concocter Beck sur “Odelay” ou “Mellow Gold”. Totalement inattendu. Ain’t no Rhyme est une tuerie. Un registre dans lequel Jake Bugg se révèle être un As. Sur un beat élastique et rebondissant notre petite frappe préférée tricote des gimmicks entre jazz et trip-hop. Et scande un flow impeccable qui va plutôt taper dans le hip hop old school de la scène “East Coast” que celui de The Streets ou Just Jack. Classe. Jouissif. On en redemande.
Après cette parenthèse expérimentale, l’animal continue de jouer au yo-yo en nous projetant en territoire blues/folk/americana. Sortez la décapotable. On y parle de Memphis et de Nashville. Livin’ Up Country parle de sentiments, de belles filles, de roadtrip… Jamais l’anglais n’avait aussi sonné aussi américain dans ses chansons. Dans le genre Eagles. Un poil surproduit et téléphoné en définitive…
All that est du pur Jake Bugg. Une ballade Dylanesque poignante et épurée au service de la voix : subtilement chevrotante et lumineuse. Un beau moment de grâce. On se quitte avec Hold On You. Une subtile et progressive déflagration country rock. Une chanson pour hommes, qui fleure bon la soirée qui peut vriller, la bagarre, les tessons de verre qui se fracassent… L’album a commencé sous un auspice folk et reposant. Il s’achève dans un écrin rock et à la nervosité palpable mais contenue. Jake Bugg est donc resté fidèle à son pedigree tout en explorant d’autres univers avec plus ou moins de réussite.
“Sell out” ? Niente.
Et Ain’t no rhyme est en tout cas l’une des chansons de l’année 2016. Nice shot.
https://www.youtube.com/watch?v=aTIddwsYoOY