J’avais raté cet album à sa parution en 2014. Je ne savais pas que j’étais passé à côté d’un petit monument de soul & funk. Paolo Nutini, écossais de descendance italienne, avait fait irruption en 2006 avec un bon premier disque folk pop contenant quelques pépites (“These Streets”, “New Shoes” ou “Jenny Don’t Be Hasty”). La seconde mouture (“Sunny side up”) enfonce le clou folk avec l’exploration de sons blues, world music, reggae. La troisième livraison, “Caustic Love” est quant à elle un petit bijou.
Un album qui a la marque des Grands. Paolo Nutini y livre un exercice vocal magistral. Son timbre éraillé y fait merveille. Un Kelly Jones (Stereophonics) sous perfusion Soul & Funk. Les deux genres dominants de “Caustic Love”. Scream (Funk My Life Up) donne le ton. Soul, Funk et contours Hip-Hop. Un son feutré. Canonnière de cuivres et choeurs imbibés de Gospel pour soutenir un beat de basse frénétique. On entre dans cet album de manière festive, sensuelle et groovy. Un soleil de plomb crépite sur le capot de la bagnole. Paolo Nutini a appuyé sur la touche “cruise”. Au dehors les filles sont belles. On les toise. Elles nous toisent. Jeu de regards ludiques et lubriques. Du mercure dans les veines.
Let Me Down Easy est plus empruntée. Quadrature Hip-Hop tapissée de Soul music. Une entrée en matière halogène et feutrée. Un orgue gémit. La voix de Nutini ressemble à s’y méprendre à celle de Bob Marley à mesure que son âme se déchire tel un oiseau blessé. Tantôt incantatoire tantôt supplicié, le Petit Prince Écossais semble bien seul sur son astre. Et sa mélancolie nous emporte avec lui d’une belle manière.
Paolo Nutini poursuit sa route spirituelle avec un One day ciselé dans une noirceur lyrique. Au bon souvenir de Sam Cooke ou Otis Redding. L’école Motown coule indubitablement dans les veines de ce titre au swing chaloupé dont la beauté et la majesté éblouissent. Nutini s’époumone crescendo avec la grâce des grands chanteurs de Soul et s’envole sur un final élégiaque absolument renversant. Mais sans les singer. Sa voix est une totale perfection. Pas de faux-semblant. Pas de mélo improvisé pour se donner un style. Il suffit de voir les prestations live du bonhomme pour comprendre qu’il est sur une autre planète. Bien torturé l’animal. Son larynx est une plaie béante. Un exutoire à ciel ouvert.
Suit le guilleret Numpty lové dans un clavier moelleux. Sympathique mais pas inoubliable. Déjà entendu mille fois sans qu’on y trouve une touche particulière qui ferait la différence. Exercice trop convenu.
Les deux chansons qui suivent sont deux chefs d’œuvre qui complètent le brelan d’as avec One Day sur l’album. Deux titres déchirants : Better Man et Iron Sky. Le premier est une ballade à la beauté désarmante. Nutini marmone des mots poignants. Tel un pochetron jetant son cœur dans la bataille. Une performance digne des plus belles de Joe Cocker dans ses jeunes années. Ses musiciens (dont il faut souligner le remarquable travail d’accompagnement) et ses choristes transcendent ce chant étranglé en quête de rédemption. Le mec ferait chialer le plus insensible des connards… Et c’est là que l’artwork de la pochette prend tout son sens. Un visage écarlate cerclé par l’abîme. L’orbite des yeux en forme de trou noir. Le Néant qui ronge. La douleur qui déforme. C’est bien de cela dont il est question sur Better Man et Iron Sky.
Iron Sky justement. C’est un Panthéon. Une basse langoureuse et intrigante qui sert de marqueur. Et Paolo Nutini qui pointe le bout de son nez. Pathos. On est saisit par la puissance. On sent venir poindre une totale dramaturgie. Premier refrain. Première secousse. Nutini confirme son statut de chanteur Soul à classer dans la cour des Maîtres. Un mélange de jeune Joe Cocker et Bob Marley. Un vibrato lacrymal qui déraille et qui tiraille. Il n’a que 27 ans et pourtant… Il a la voix d’un homme martyrisé. Celle d’un homme qui a vu l’horreur ou traversé la vie comme une succession de défaites et de désillusions. Une voix d’homme qui fait pleurer des hommes. Je sais je l’ai déjà dit. Mais là c’est flagrant de vérité. On s’écroule sur le sol, boxé, KO, avec lui. C’est cela Iron Sky. Le tout dans une atmosphère Ennio Morriconesque. Il y a ce texte de Chaplin (extrait du film “Le dictateur”) qui prend tout son sens (l’homme-esclave du pognon, des machines, terreau d’une société toujours plus fasciste) qui précède l’explosion, le cri du cœur, l’exutoire dramatique à 3’59. Un de ces moments les plus éblouissants et puissants qu’il m’a été donné d’entendre dans ma vie. Si Dieu existe alors il se manifeste dans cette chanson.
L’enchaînement sur Diana est très très malvenu. Complètement chamboulé et aspiré par Iron Sky, l’écoute de ce nouveau titre a de quoi révulser. Une sorte de soupe soul soporifique… Passons. Les couplets de la chanson qui suit, Fashion , sont de très mauvais goût musicalement, on pense avec effroi à Shania Twain.. Aïe… Un grand écart de style étonnant. Tentation de céder aux ficelles du mainstream ? Le featuring de Janelle Monae n’est pas mauvais mais on ne comprend pas ce que tout cela vient foutre ici… Cette parenthèse de mauvaise facture coûte sa cinquième étoile à ce disque qui avait tout pour être parfait de bout en bout.
Looking for something s’étire sur plus de 6 minutes. Ambiance Bobby Womack et “Superfly” de Curtis Mayfield. Du funk sous acides. Les musiciens sont en embuscade. Un groove écrasé dans du velours. Seuls les cuivres se font lyriques par intermittence. Paolo Nutini dirige les débats. S’avançant seul dans la nuit noire. Chancelant. Toujours chancelant mais magnifique.
Un léger beat pop rock 60’s aiguille les couplets de Cherry Blossom . Des images de Grand Canyon et de déserts caramélisés par le soleil défilent dans une chaleur suffocante. Les Doors dansent dans l’habitacle. Avant que le refrain ne dégoupille. Nutini explose de sa voix éraillée. Un timbre blues psychédélique puissant. La voix mue. Libéré de son carcan, le Moloch est lâché. Façon Janis Joplin. Tout valse. Tout est fracas dans un déluge de guitares et de claviers tempétueux.
On se quitte en douceur avec Someone Like You. Légèrement cocasse. Entre ritournelle italienne et mélodies Doo Wop. Une chanson cousine de ce que pratique un George Ezra. Un souffle printanier et apaisant. Sans doute que Paolo Nutini avait besoin d’un répit. Histoire de cicatriser ses tourments. Et nous avec.