Troisième livraison solo en 6 ans de Noel Gallagher accompagné de ses High Flying Birds. Le mancunien est prolifique. Mais surtout il suprend avec ce “Who Built The Moon ?” assez éclectique. En douze chansons dont trois titres instrumentaux, il livre le disque le plus audacieux et diversifié de sa carrière. Mais la production à moitié ratée ne lui rend pas justice… Dommage car outre trois titres dispensables, le reste est bon voire très bon.
A 50 ans, celui qui est né le jour de la sortie de “Sergent Pepper”, celui qui a connu la gloire et la fortune avec Oasis, celui que l’on a toujours taxé de conservatisme rock dans son registre d’auteur-compositeur, se met en risque, dévie de sa trajectoire classic pop rock habituelle, et se laisse apprivoiser par David Holmes pour produire un album que l’on pourrait qualifier d’atmosphérique.
David Holmes, DJ, compositeur de films pour Steven Soderbergh notamment et ayant travaillé avec Primal Scream et New Order, invite Noel Gallagher à lâcher prise et le retrouver en studio sans idées abouties de chansons. Les deux hommes modèlent ainsi “Who Built The Moon ?” se complétant l’un et l’autre. David Holmes produit, arrange et distille sa science cinématographique dans les chansons de Noel Gallagher. Ce dernier élargit son spectre musical vers le space rock, la soul, le disco rock, la new-wave, le western rock etc. Ce qui pourrait sembler étonnant ne l’est pas en réalité. C’est oublier que l’Anglais avait déjà fait montre d’ouverture d’esprit en signant deux titres electro-rock majeurs des années 90 avec les Chemical Brothers, en s’aventurant en terrain électro hardcore avec Goldie, en samplant NWA sur des titres d’Oasis ou en collaborant plus récemment avec Gorillaz etc.
En fait ce “Who Built The Moon ?” exploite pleinement les sillons prometteurs creusés par Noel Gallagher avec feu Oasis depuis 2000 (les disques “Standing on the shoulder of giants” et “Dig out your soul”) et en solo avec son précédent opus où certains titres comme “The Right Stuff” présageait du meilleur en terme de rock expérimental et planant. Cette versatilité artistique est pleinement assumée et dévoilée sur ce nouvel album.
La pochette à l’artwork raffiné invite au voyage. Ouverture en trombe avec un Fort Knox cosmique. Sirènes. Les écoutilles sont en alerte. Un turbo jet déchire une aurore boréale. Chœurs Afro au firmament. Un réveil strident retentit. Décollage vertical sur une rampe de basse monolithique qui frise la crise de tachycardie. Une entrée en matière cinématographique. La basse tabasse façon enclume Krautrock. Puis soudain Noel Gallagher se met à chanter « You gotta get yourself together » en guise d’hymne teinté de soul et disco. On lévite à Mach II entre les Chemical Brothers et Electric Light Orchestra.
Suit le disco/glam rock Holy Mountain. Upbeat tempo. On tape du pied. Hilare. Un shoot d’adrénaline. Jouissif. Candide. Joyeux. La mesure est rapide. Pied au plancher. Une flûte en guise de riff. Flashback d’une jeunesse insouciante. Une chanson qui clame l’amour sur un dancefloor. Du Roxy Music génétiquement croisé avec David Bowie et Plastic Bertrand (ces chœurs !). La vie est belle. Il faut rire. S’émouvoir. Chantons à tue-tête. Embrasse-moi. On regrettera cependant une production écrasée par un mille-feuilles d’arrangements et abîmée par un son trop compressé…
Noel Gallagher n’a jamais caché son admiration pour Stevie Wonder. Keep on Reaching allie soul festive et groove funky. Le clavier déroule un riff ensorcelant. La grosse caisse martèle fiévreusement. Les cuivres et les chœurs exhalent des essences qui sentent bon la période Motown. Une réussite qui aurait pu être totale en allégeant un peu la production.
La soul est délaissée pour une nouvelle aventure en territoire cosmique sur It’s a Beautiful World. Un vol en apesanteur à travers une constellation electro pop. Du Chemical Brothers minimaliste. Une basse syncopée. Des synthés astraux. Une guitare filiforme. Un chant qui semble prophétiser avec force cynisme la fin du monde. Un cynisme appuyé par un intermède apocalyptique scandé dans un français psychédélique. Featuring Charlotte Marionneau. Mais au final on s’ennuie, cela tourne un peu en rond… Une tournerie tentaculaire montée sur un essieu binaire. Toujours avec cette touche cosmic rock en soupape : She Taught Me How To Fly surfe sur un fil disco/new-wave où Blondie côtoie New Order. Efficace mais répétitif, il aurait été bienvenu de réduire l’affaire à 3 minutes.
On prend une profonde inspiration sur Be Careful What You Wish For. Très Dr John d’esprit. Chant sussurré. Une pointe de mystique. Ballet vaudou. Pivôt de la chanson ? Le riff de basse qui enroule les quatre premières notes du « Come Together » des Beatles. Un emprunt malicieux pour ce titre qui résonne à la fois soul, glam rock et psychédélique.
On ne s’éternisera pas sur Black & White Sunshine. Un ersatz de REM et The Doves qui fatigue à l’écoute tant le fil de la chanson est poussif. Suit le premier entracte avec Interlude (Wednesday Part I) qui aurait eu toute sa place sur un album de Air ou Peter Von Poehl. Des arpèges mélancoliques qui soufflent un froid hivernal sous un soleil blafard. End Credits (Wednesday Part 2) est du même tenant.
If Love Is The Law est probablement le meilleur titre du disque. Une cavalcade. Une charge héroïque à travers les steppes. Grandiloquence baroque qui porte la signature d’un Scott Walker ou Burt Baccarach des grands jours. Une triomphale épopée symphonique qui contraste immédiatement avec l’odyssée titanesque coulant dans les veines de The Man Who Built The Moon. Un déluge sonore. Un western Wagnérien qui aurait eu toute sa place sur la BO d’un “James Bond”. Scott Walker toujours… The Last Shadow Puppets en filiation directe. Et une pincée de démesure made in Roger Waters.
Que d’influences et de styles embrassés sur ce disque qui avait le potentiel pour aller plus haut ! La production, aussi ambitieuse soit-elle, est mal maîtrisée sur une bonne moitié des titres. C’est le gros point faible de cet album. D’autant plus regrettable que l’écoute de la chanson bonus Dead In The Water est absolument sublime avec son dépouillement guitare/piano laissant le chant de Noel Gallagher s’exprimer pleinement…
En 2017, Liam & Noel Gallagher ont livré à moins de 2 mois d’intervalle un premier album solo pour l’un, un troisième pour l’autre. Il y avait donc bien match et c’est le cadet qui livre le disque le moins original sans doute mais le plus addictif avec un paquet de chansons admirables et très bien produites pour le coup.
S’il semble improbable de revoir Oasis sur scène et tant mieux (cela participe à la légende), les deux frères ennemis continuent de nous abreuver de leurs frasques, de leurs interviews uppercuts et de chansons relevées. Vous qui lisez cette chronique et qui êtes leur contemporain à cet instant précis, vous ne mesurez pas la chance que vous avez car dans quelques années, il n’y aura plus de types de cette trempe qui auront aussi bien incarné le rock & roll. Tout devient trop lisse, édulcoré, politiquement correct à l’heure actuelle.
God Bless the Gallaghers.