Ces américains nous avaient enchanté l’an 2012 avec un premier album absolument remarquable : “Boys & Girls”. Un album typiquement blues & soul rock. Un nectar authentique comme on en fait peu… Trop peu… Un groupe porté par la puissance soul de Brittany Howard, véritable Janis Joplin black qui vous plaque littéralement au mur avec ce timbre qui laisse transpirer leur Alabama natal dans ce qu’il a de plus “roots”. Leur son “revival” s’inspire à la fois d’une soul portée par le courant “Muscle Shoals” des sixties (Aretha Franklin, Percy Sledge, Otis Redding pour les plus illustres) et par une rythmique blues rock/rock sudiste brassant aussi bien Lynyrd Skynyrd que Led Zeppelin et les Allman Brothers.
En 2015 les voilà de retour aux affaires avec un album différent. Les racines blues & soul sont toujours là mais le groupe offre un son généralement plus polissé, sombre et intimiste dans l’ensemble.
Dans cet univers plus posé que sur le premier album figure une tuerie pour dancefloors rock: “Dont’wanna fight”. Une claque funk/soul rock phénoménale. Riffs noyés dans une réverbe vintage en intro, un son du plus bel effet années 50. Et la tigresse qui griffe de son râle sur les couplets avant de feuler sur un funk qui vire presque au disco. Du genre Jacko sur “Don’t you stop till you get enough” qui aurait croisé la fureur rock syncopée d’un Gang of Four. Funkadelicious !
Alabama Shakes a en effet (déjà ?) pris un virage plus introspectif sur ce deuxième offertoire à l’image de la céleste “Sound & Color” et ses oscillations cristallines jouées par un vibraphone tout en délicatesse. Beat lascif, murmure saccadé, ambiance feutre & velours…
“Dunes” a un côté plombant. Des riffs en piqués sous un ciel bas et lourd… Indigeste claustrophobie aux allures zeppeliniennes mal amenées et malmenées. Avec “Future people”, les choses se gâtent. Voilà le quator qui succombe aux charmes du mainstream. Gros son, grosses basses, il faut envoyer le Whooper dans le whoofer… Non merci… Et ce n’est pas les quelques saillies rock qui transpercent la vilaine carcasse de la chanson qui vont y changer quoique ce soit. Suit “Gimme all your love” où comment puissance vocale se compromet avec chant criard… Décevant malgré un final funk rock bien emmené.
Aïe. Cet album que nous attendions avec impatience sent quelque peu le sapin… La face B (les 6 derniers titres sur les 12 que comptent la galette) peut-elle inverser la donne ?
“Guess who” évoque Laurence Trent d’Arby et le Lenny Kravitz période “I belong to you” : un flow sexuel coulé dans une production feutrée. Quelconque… Puis survient comme un petit miracle “This feeling” qui permet de renouer avec la magie de ce groupe qui nous avait totalement dompté en 2012. Country & Soul sont de sortie sur cette magnifique chanson boisée où un flow liquide swingue dans une lumière irisée. Un titre incarné, vivant, épuré.
Tiens ça s’excite un peu sur “The Greatest”. Retour des guitares au son rouillé dans un total esprit rock garage. Pas mal. Surtout quand le rythme baisse d’un cran pour aller taquiner des vibes West Coast façon Allah Las et Fairport Convention. Une sucrerie folk rock dans un joyeux barnum garage. Intéressant, la production vient de faire une volte-face de 50 ans en arrière dans sa façon de mixer les voix en retrait et de propulser la batterie et les guitares en plein dans la tronche. Résultat splendide lorsque le groupe s’énerve un peu et se décide à dérailler sur un final bordélique que les afficionados du Velvet Underground sauront apprécier.
On retrouve ce qui faisait le cachet de ces américains sur ce titre et celui qui suit : “Shoegaze”. Un orgue saturé qui gicle, des grosses couches de guitare abrasives, un chant guturral qui vient des tripes. La définition post-moderne du blues ? “Miss you” enfonce le clou. Parfait exercice de blues/soul. Janis Joplin habite les incantations de Brittany Howard. Chanson d’une beauté désarmante. La tigresse scande, exulte, explose, hurle, halète tout ce qu’elle a. Classe. Le costume de Pearl est délaissé pour celui d’une autre diva. “Gemini” a des airs d’ Aretha Franklin sous psychotropes. Steve Johnsson hache la mesure de son beat abandonné pendant que son accolyte Heath Foog cisaille des implorations fuzz qui confinent à la folie, la parano… Les Alabama’s n’avaient jamais sonné aussi dark… On se fout un peu que le dernier titre, “Over my head”, soit anecdotique. Car sur ces 7 derniers titres, il y en a donc 5 qui viennent de montrer que les Alabama Shakes en ont encore sous le coude pour ce qui est de se livrer à des brûlots bluesy. Et leur inflexion vers une soul plus marquée que par le passé est intéressante, surtout quand elle se décline avec les tripes. Et en matière de don de sa personne sur scène, la mère Brittany Howard est loin d’être avare.
Souhaitons juste à ce groupe qui pratique un rock sincère de ne pas verser dans un son léché, mainstream et désincarné comme les Kings of Leon et les Black Keys plus récemment. L’écoute de ce deuxième album, avec toutes les qualités qu’il enferme en son sein, nous fait légèrement craindre cette possibilité d’aller taquiner le succès en radio avec des compositions plus aseptisées.