Avant de devenir la machine à tubes disco des années 70 et de vendre 220 millions de disques, les Bee Gees étaient un formidable groupe pop sixties. Peu le savent car la discographie du groupe a depuis 1975 été totalement assimilée au disco. A tort.
Si vous aimez The Beatles (période “Rubber Soul” à “Sergent Pepper”) et The Zombies, cet album n’attend que vous. Un chef d’œuvre indispensable.
Natifs de l’île de Man au Royaume-Uni, les trois frères Gibbs émigrent en Australie en 1958 où ils initient leurs débuts musicaux en tant que groupe. Quatre ans plus tard les trois frangins adoptent le nom de The Bee Gees et s’entourent de deux musiciens additionnels qui officiellement intègrent le groupe. Après deux premiers disques en 1965 et 1966, uniquement distribués en Australie, sort leur troisième galette en 1967 : “Bee Gees 1st”. Un joyau. La maîtrise d’un art pop baroque comme hélas on en fait (trop) peu voire plus du tout… Une espèce en voie de disparition.
Ce disque est fascinant pour trois raisons :
• Tout d’abord parce que l’écouter en se disant que c’étaient les Bee Gees qui chantent dessus semble relever de la farce… On est très loin des voix de fausset adoptées lors de leur virage disco. Les Bee Gees ont subi dès le début des seventies une véritable opération de chirurgie esthético-artistique… Et comme souvent, à force d’abuser du collagène, le résultat est aussi navrant que laid.
• Ensuite parce que musicalement le disque est d’une incroyable qualité. Nous sommes en 1967. Un an auparavant, la sortie de l’album “Revolver” des Beatles a provoqué une révolution dans le milieu rock avec ses élucubrations psychédéliques. Et cela se ressent de façon flagrante sur “Bee Gees 1st”.
• Enfin parce que l’on découvre que les frères Gibbs étaient des musiciens doués avant tout, pratiquant divers instruments avec talent : guitare, basse et claviers (piano, mellotron, orgue, clavecin). A noter que le gang fraternel compose tout intégralement.
L’album est à proprement parler ahurissant. Les arrangements dignes du meilleur cru de l’époque. Pop symphonique comme savaient l’outiller les Beatles, Burt Baccarach, Beach Boys, Kinks, Harry Nilsson et The Zombies. L’empreinte de ces artistes est complètement gravée sur ces 14 chansons.
Le disque s’ouvre avec un monumental et somptueux “Turn of the century”, digne d’un chassé-croisé entre Kinks époque “Village green” et Zombies sur “Odessey & Oracle” lesquels paraissent un an plus tard en 1968… Pareil sur le déchirant “Holiday”. Des mélodies renversantes. “I can’t see nobody” va quant à lui chercher du côté de Love et des Zombies encore une fois. Love pour le chant incantatoire à la Arthur Lee et les Zombies pour les arrangements au clavecin.
“One minute woman” swingue façon Dusty Springfield. Car “Bee Gees 1st” est aussi un album enluminé de soul music. A l’image de ce “Close another door” et sa construction en deux temps : les couplets dans la veine des Beach Boys (“Pet Sounds” en 1966 toujours…) et le refrain à contretemps, le tout avant de terminer sur un final qui n’est pas sans évoquer l’école Motown (l’écurie de Marvin Gaye, Temptations, The Supremes, Diana Ross, Stevie Wonder,….) Cette soul dominant également le fabuleux “To love somebody” que Nina Simone et Janis Joplin reprendront dans leur carrière.
Sur “In my own time”, on se croirait immergé dans l’album « Revolver » des Beatles (les chansons “Doctor Robert” et “Taxman”). Déroutant…La voix est similaire dans le timbre, les bandes inversées de guitare, le groove de la basse… Un pastiche parfaitement ingénieux.
Des Beatles il en est beaucoup question. La pochette est signée Klauss Voorman qui n’est autre que l’auteur de celle de “Revolver” des Fab Four de Liverpool. Musicalement la marque des Beatles est plus que flagrante à l’écoute d’une bonne moitié de l’album. Tel le titre “Red Chair, Fade Away” où un florilège de trompettes, violons, clavecins, flûtes s’entrecroisent pour offrir des arrangements baroques d’une incroyable beauté. Les frères chantent admirablement bien par-dessus une nappe de mellotron totalement habitée. Le cocasse “Craise Finton Cook” est un décalquage pop piano à la Kinks et McCartney. Et que dire de “New York mining disaster” ? Un chef d’œuvre qui rappelle un mix de “She’s leaving home” et “Penny Lane”. Et si on ferme les yeux en écoutant “Please read me”, on croirait entendre le timbre de John Lennon…A tel point que des DJ radio penseront passer le nouveau single des Beatles en mettant “New York mining disaster 1941” dans leur playlist. Ce qui par accident fit monter en flèche la popularité des Bee Gees aux USA.
Autre claque? Le trip totalement barré de “Every christian” où fusionnent chants grégoriens et refrains pop psychédéliques. On pense aux Moody Blues et aux Beatles (toujours eux). Inventivité et mélange des genres remarquable. Nous sommes en 1966 et le rock n’a même pas 15 ans d’existence depuis l’irruption d’Elvis en 1954…
Un album aux arrangements très élaborés. Avec finesse, élégance, au service des mélodies. Un travail d’arrangements riche mais jamais écrasant. Il faut rendre hommage à l’exceptionnel travail des ingénieurs son et producteurs de l’époque. Obtenir une telle qualité acoustique quand on sait les moyens technologiquement limités des studios à cette époque, cela relève du génie. On enregistrait sur 4 pistes… C’est dire le talent et le génie de types comme George Martin (Beatles), Alan Parsons (Pink Floyd) et donc Ossie Byrne/Robert Stigwood sur cet album.