Toxique !
C’est l’histoire d’une bande de jeunes skaters new-yorkais, foutus à la porte de chez eux et qui à l’aune de la vingtaine se décident à former un trio. Un conte à la Sonic Youth ? Bienvenue chez Beechwood. Une dégaine et des frusques façon Ramones et New York Dolls. Des gueules taillées pour le métier, entre le look androgyne du chanteur, le corps totalement tatoué du batteur, et la ressemblance effarante du bassiste avec Sid Vicious. Trois clampins désaxés au goût prononcé pour un garage rock loin d’être étriqué puisqu’ils savent s’affranchir des canons du genre avec une audace et désinvolture prodigieuse (la parfaite ouverture de 2 minutes signée Ain’t Gonna Last All Night).
On y trouve des calibres affûtés au proto-punk des Ramones tout en cultivant une urgence abrasive à la 13th Floor Elevator (I Don’t Wanna Be The One You Love, Melting Over et la tubesque I’m Not Like Everybody Else, reprise des Kinks).
Mais c’est notamment lorsque ces trois damnés accouchent de ballades lysergiques qu’ils sont les plus étonnants et inspirés. « Songs From The Land Of Nod » est un disque qui exhale le danger, le stupre, l’addiction, les larcins, la vie de caniveau… Un ensemble qui se meut au sein d’une pop brumeuse et acide embrassant aussi bien les digressions oniriques et toxiques du Brian Jonestown Massacre (Pulling Through) et Syd Barrett (la fascinante All For Naught) que les lyrismes romantiques du Velvet Underground et Television (Heroin Honey).
Les Beechwood troussent des chansons singulières qui vacillent entre rage et ambiances ouatées, vaporeuses… Rien n’est ici calculé. A l’image de ces guitares baladines aux leitmotivs invraisemblables et géniaux rappelant le jeu alambiqué d’autres héros new-yorkais des seventies (Television). A l’image de ces progressions atypiques qui caractérisent certaines compositions telle l’immense C/F. Ou de ces fulgurances psychotiques néo sixties qui habitent littéralement une chanson comme This Time Around hantée par l’ombre d’un Alice Cooper.
« Songs From The Land Of Nod » est l’œuvre d’un groupe foutrement sauvage mais sophistiqué (les arrangements ciselés de chansons), sans le sou mais éduqué (riche palette d’influences). Avec un jeu en clair-obscur où les instruments sont ivres, imprévisibles. Le charme et la magie des premiers albums de groupes jeunes et fauchés. Des héros magnifiques, fragiles, livrés à eux-mêmes. Comme The Libertines en leur temps. Un premier album potentiellement culte dans une ou deux décennies.
Coup d’essai. Coup de maître. Signé par le label qui avait révélé le premier Black Keys et Radio Moscow.