Un groupe d’islandais qui sonne totalement “ricain” ? Voici Kaleo (i.e “le son” en langue hawaïenne). Formés en 2012 au pays des aurores boréales, repérés par le label Elektra, après un premier album qui attire l’attention, les voilà exilés au Texas pour y enregistrer ce deuxième disque annoncé comme LE gros succès rock 2016/2017.
L’exil en terres américaines porte ses fruits sur les morceaux faisant la part belle aux influences rock sudiste/folk/country rock avec trois excellents morceaux dont l’ouverture impeccable signée sur le rugueux No Good (figurant sur l’excellente B.O de la série “Vinyl”). Un ampli à lampes qui crépite, des coups de boutoir décochés sur la batterie, des accords de guitare à la distorsion baveuse. Une entrée en matière tellurique. Un savant mélange de gospel époumoné, une rythmique heavy blues, une caisse claire aux accents disco, des clappements de main fédérateurs sur le break, des riffs épileptiques qui moulinent dans la poussière soulevée par les éperons rock and roll des Islandais qui conjuguent en surface Franz Ferdinand, Black Keys et Black Crowes. Mais dans le capot s’agitent les chakras de grands noms du blues : Muddy Waters, Ty Taylor, R.L Burnside…
Way Down We Go et sa fibre soul/blues revisitée à la Black Keys se révèle toute aussi prenante que le titre inaugural de l’album. Progressivement l’invocation liturgique en prélude laisse place à un beat lourd et sombre. Le chant se fait grave et rocailleux. Cela prend aux tripes. Au bout de la nuit et de la rédemption la lumière jaillit. Salvatrice. Suit un Broken Bones du plus bel effet. Amorce en gospel. Les chaînes claquent contre la rocaille et les chevilles meurtries. Kaleo nous plonge en plein Bayou. Made in “O’Brother”. Du blues séminal. Pur jus de Louisiane. Jusqu’ici Kaelo signe un tiercé d’ouverture parfait. Racé. Authentique. Qui a du chien.
Hélas “A/B” pâtit parfois d’une production grossière sur les morceaux les plus rock tels que Glass House et Hot Blood. Deux morceaux sous testostérone et téléphonés. L’écoute est fatiguée. Du rodéo rock mené tambour battant sans aucun gramme de finesse. Passons. Aucun intérêt. Du mauvais Black Keys sous OGM. Vulgaire. totalement beauf.
La magie du groupe opère à nouveau sur les ballades. Telle la cristalline All the Pretty Girls qui révèle l’immense palette vocale de Jökull Júlíusson capable de se hisser vers des territoires où seuls les anges vivent… Toute la subtilité propre aux artistes islandais fait ici surface. Avec cet art divin du Falsetto qu’un groupe comme Sigur Ros sait si bien manier. Mieux encore avec la stellaire Vor I Vaglaskogi, seule chanson interprétée dans leur dialecte natal. Magnifique. En toute simplicité. Un arpège au service du chant. De rares percussions et un violoncelle plus que discret… Un dénuement total qui fait aussi beaucoup penser aux chansons de Bon Iver.
Sur les agréables mais pas inoubliables Save Yourself et Automobile Kaleo rappelle d’ailleurs un autre groupe en “K”, feu les Ecossais imbibés de folk/country/rock : Kassidy. Un brassage d’influences, une production, une interprétation musicale et vocale souvent du même acabit.
Nous quittons Kaleo avec I Can’t Go On Without You. Un chant qui se lamente. Des larmes en embuscade. Puis le groupe s’excite une dernière fois à coups de saillies de vibratos/tremolos lustrées dans la saturation abrasive d’un bel ampli à lampes vintage… Un dernier sifflotement en guise d’adieu. “A/B” se referme.
Kaleo impressionne par sa versatilité en passant d’un registre puisé dans les méandres des marais du Mississipi aux limbes glacées des fjords. Deux mondes que tout opposent mais liés par les mêmes aspérités, avec ce même sens des traditions et du terroir. Une quête qui puise dans les tréfonds de l’âme. Dans le feu et la glace. Mais le quatuor déçoit car il y avait le potentiel pour signer un grand disque. La deuxième face de l’album accuse un coup de mou de par son trop plein de ballades, certes joliment interprétées mais somme toute assez redondantes dans la composition et les arrangements.