Lorsque j’ai mis ce disque un soir de 2004 sur ma platine, j’ai exulté de joie… Les guitares frondeuses et rock and roll au sens primal du terme étaient de retour ! Certes les choses avaient bien démarré avec “Is this it” et le revival garage des Strokes, mais là retour aux sources, aux pionniers, au bon vieux rock sudiste de Lynyrd Skynyrd et du Creedence Clearwater Revival. Back to the good old Bayou qui était d’ailleurs déjà omniprésent sur leur 1er album de 2003 : “Youth & Young manhood”. Nathan (batterie/chant), Caleb (chant/guitare), Jared (basse/claviers) et Matthew Followill (guitare), 3 frères et 1 cousin, ont ressuscité un rock and roll traditionnel et ramené Nashville au premier plan. Mais pas seulement… Ce serait trop réducteur. Le groupe va aussi chercher du côté de Wire, Gang of Four et The Ramones pour ce qui est de pondre des rythmiques garage rock binaires et up tempo.
Désormais culte, un classique, “Aha Shake Heartbreak” est une lampée de bourbon qui réchauffe le sang par un froid matin d’hiver. Envie de claquer ses boots en rythme, d’empoigner sa bécane et de filer à toute berzingue sur la highway à travers les immensités désertiques des Etats Unis… Sur ce deuxième disque des Kings of Leon, les hostilités démarrent franchement dès l’ouverture avec “Slow Night, So Long”. Un son crunchy grésille dans l’enceinte, une basse sautillante et ronde ouvre la voie à une calvacade croisant garage rock et 70’s sudiste où le batteur cogne sa batterie furieusement tel un Keith Moon (The Who) possédé par la rage. De rage il en est question dans le timbre blues/soul, hargneux ou déchirant (selon l’humeur) de Caleb Followill. Une putain de voix comme on en avait plus entendu depuis des lustres… “King of the rodeo” et son duel de riffs clean versus fuzz assis sur un rythme syncopé basse/batterie est une merveille. On pense à Wire. Le groupe joue vite, le pied sur le champignon, le phrasé vocal limite rappé assène coup sur coup dans la tronche. KO debout en 2 minutes 25. Halleluyah !
“Taper Jean Girl” poursuit la même formule de guitares aux riffs se faisant face. Caleb Followill à la voix “mauvaise” et condescendante se faufile entre les lignes de guitares caverneuses flanquées de tremoloes, invoquant le démon qui s’invite en fin de titre sur un boogie abrupt. Boogie qui enchaîne sans répit sur “Pistol of fire”, encore un bijou rock sudiste/garage rock, dont le tempo s’accélère au fil de la chanson. Le groupe est en osmose, transpirant, ça joue “tight” sur le ring, comme si leur vie en dépendait. Les solos giclent dans une éruption de fuzz bluesy démentielle. Encore une claque…
On passera sur l’énigmatique et léthargique “Milk” pour revenir aux choses sérieuses et jouissives avec “The bucket”. Roulements de toms de batterie, caisse claire élastique, riffs binaires au couteau, la chanson respire, accélère, respire, halète et repart en trombe. Impeccable exercice de maîtrise des tempos. Les Kings of Leon savent y faire. “Soft” et sa basse groovy évoque le “Is this it” des Strokes. Une virée vers un garage rock dansant qui rappellera aussi The Libertines. Son typiquement caractéristique de l’époque 2002/2005. Sympathique mais on lui préférera l’excellent “Razz”, tantôt langoureux tantôt hargneux avec ce petit côté Gang of Four pour le jeu de basse/batterie qui donne envie de faire du “headbanging” ou un petit tour de rodéo avec un coup dans le pif…
Lorsque les Kings lèvent le pied, c’est pour accoucher d’une ballade tourmentée sur “Day Old Blues”. Caleb se lamente sur les couplets… Un poil chiant. L’autre ballade, la laconique et country rock “Rememo” s’en sort déjà bien mieux avec des arrangements fantômatiques tout droits sortis d’un vieux bouge paumé… On les préfère en franc tireurs à l’image du cradingue “Four kicks” qui évoque à la fois The Ramones pour son urgence abrasive et “Fell in love with a girl” des White Stripes avec une teinte hard blues en fond. Nouvelle giclée de fuzz ! “Where nobody knows” conclue ce disque avec une tension palpables tout au long de l’écoute. Un grand disque à fleur de peau. Et muni d’un grain vintage à point nommé, sans doute aidé par le mixage réalisé sur la console de mix des Beatles à Abbey Road. Mais surtout parce que le disque fut enregistré live, sans overdubs, conférant cette urgence et nervosité si caractéristiques.
Encensé par la critique, les Kings of Leon tomberont dans le piège pour le troisième album en transformant leur rock confidentiel et sincère en un rock pour stade, empruntant le chemin de tant d’autres formations qui se perdront dans cet exercice (The Killers, U2, Coldplay, Muse,…). Au sens artistique du terme. Car évidemment, des millions d’albums… ils en écouleront des pelletées… Néanmoins, on savourera les deux premiers albums de la fratrie Followill. “Aha Shake Heartbreak” étant un indispensable pour toute discographie rock qui se respecte. Vous reprendrez bien un peu de bourbon ?