La Femme. Démoniaque et Jubilatoire.
C’est parce que leur deuxième album vient de sortir que nous nous penchons sur l’un des phénomènes rock français qui s’est fait remarquer dès 2010 avec la publication d’un premier EP singulier et revitalisant. “Psycho Tropical Berlin”, leur premier disque parait en 2013. Une petite claque !
La Femme est un sextette déjanté à l’esthétique fluctuante : luxure dévergondée des années 20, looking déjanté façon Airnadette, atours Warholiens, dandysme métrosexuel à situer entre Franz Ferdinand et Kraftwerk. Rien de mieux que les Victoires de la Musique 2014 ci-dessous en vidéo pour illustrer le propos.
Le combo a su se créer un réel univers le propulsant au stade d’ovni sur la scène french pop rock. Il nous gratifie d’un disque qui synthétise cinquante années de scène musicale française pop rock en quinze chansons. Krautrock, Yé-Yé, mix Cold/New Wave, Electro Pop, Rock psychédélique, Pop indé…
Appuyons sur Play.
Antitaxi : on est dans l’ascenseur et il vient de lâcher. Beat krautrock sur “l’autobahn”. Un thérémine vient ensorceler la chose. Un riff surf music surgit. Des palmiers sur le périphérique. Textes drôlatiques : “Prends le bus ! Prends le bus ! Antitaxi ! Taxis beaucoup trop douteux, taxis beaucoup trip dangereux !” C’est con, c’est seizième degré mais ça colle parfaitement à la musique de La Femme. Les synthétiseurs klaxonnent et se fracassent dans un joyeux bordel lorsque le groupe opère une sortie de route en fin de titre.
Ambiance cold wave eighties sur Amour dans le Motu. On y découvre plus spécifiquement le chant atypique de Clémence (chant/clavier). Faussement ingénu. Teinté de cynisme. Une sorte de Brigitte Fontaine adolescente. Le rockabilly électronique laisse progressivement place à un clavier mellotron fluet aux circonvolutions ésotériques. Pas inoubliable pour autant. La suite est bien plus excitante.
Vient le titre éponyme. Celui qui incarne l’essence du groupe. La Femme. Tout connement. Un titre néo Yé-Yé appuyé par des arrangements surf music. Déhanché twist à la Austin Powers. Ambiance vaudou Comic Strip. Les percussions claquètent comme du bubble gum. Le thérémine est d’humeur hitchcockienne.
Interlude prolonge cette transe. Tremolos suspendus. Un clavier s’avance dans la nuit. En éclaireur. Des toms martiaux martèlent. Ambiance cinématographique en noir et blanc. “Quai des brumes”. De la fumée s’échappe des caniveaux. Le macadam est humide. Tension palpable. L’intrigue est parfaite. Hypsoline embrasse l’intrigue. Une sorte de Dionysos (époque “La Coccinelle”) sous lysergiques. Prose maléfique. Claviers à la signature baroque. Délirium absolu dans les textes narrés avec un détachement à la Étienne Daho. Un bijou de musique pop surréaliste. Dali apprécierait.
Surf music revisité à la sauce new wave. On écoute Sur la Planche. Dans le genre les Tornadoes tapant le boeuf avec Indochine et Philippe Katerine. Ultra efficace. “Sur la plage je recherche des sensations”. Un hymne anti-burkini avant l’heure ! Soyons caustique. La Femme est aux manettes. Un tube diablement entrainant. Un sortilège frénétiquement dévoyé par un ensemble instrumental possédé. Du Franz Ferdinand de la première heure couché sur papier glacé. On claque ses “Repetto” sur le dance floor. Absolument jubilatoire, érotique et tropical.
It’s time to wake up. Un beat lascif, sinusoïdal et malicieux ouvre la chanson. Le résultat d’un croisement génétique entre les conjurations pernicieuses de Death in Vegas et l’electro/new-wave de Visage chez La Femme. Des textes prophétiques et apocalyptiques servis sur un ton désopilant où l’on y parle d’amour transgénique et de Mata Hari. Une totale désinvolture ponctue chaque intonation vocale. La Femme maîtrise parfaitement son sujet de Pop surréaliste.
L’école Etienne Daho imprègne le sujet de Nous étions deux. Un hymne adultérin. “Elle était ta meilleure amie, t’aurais pas du me provoquer avec ce petit garçon de café”. Textes perchés au cynisme mordant : “C’était un amour tropical […] la fièvre jaune m’emportera”. Un clavier frivole ironise le propos. Une légèreté enjouée teintée d’humour noir. Redoutable.
On continue de se faufiler dans cet univers à la fois noir et kitsch et rocambolesque avec ce Packshot taillé dans un moule Krautrock minimaliste et autoritaire. Saisis la corde enfonce le clou. Pop macabre déclinée au quinzième degré. Soudain, une boîte à musique fait irruption et entonne un air enfantin démoniaque. Ambiance films d’horreur/série Z. Chair de poule. Un clown à la mine mauvaise nous dévisage dans la pénombre. Cauchemar. Descente aux enfers. Et soudainement on se met à fixer le regard illuminé de cette Femme aux seins nus sur la pochette. Le Blues de Françoise nous terrasse avec ses textes au vitriol: “Ce soir Françoise perd goût à la vie […] Françoise n’est pas maline, un morceau de chocolat en guise de copine”. Le disque a totalement vrillé dans un krautrock sépulcral.
La magie noire opère. Et l’on comprend parfaitement bien désormais le titre : “Psycho Tropical Berlin”.
Si un jour renoue avec une pop plus enjouée qui nous rappelle au bon temps des 80’s avec la pop new-wave de New Order et Orchestral Manœuvre in the Dark. Ode jouissive au féminisme : “Mais moi j’aimerais vraiment pouvoir abandonner mon Moulinex. Devenir unisexe. Pour savoir cracher. Fumer toute la journée. Marcher tout en sifflant. Porter des pantalons […] Mais faut pas me reprocher quand je sors ma Harley. A celui qui m’approche je lui fous une raclée”.
Psychédélisme 60’s en avant toute sur le fantastique La Femme Ressort. La guitare pivote et essuie une spirale maligne sur un riff enivrant. Un même accord de piano cogne aux parois du cerveau. La chanson agit tel un sédatif. Vicieusement. Telle un cobra étouffant sa proie, elle injecte ce nectar hypnotique et diabolique. On regarde à nouveau la pochette… Okay…Pigé… L’âme dévisse nonchalamment.
Welcome America conclut le disque d’une joyeuse et hilarante manière : “Aéroport d’Orly je pars pour l’Amérique […] Welcome America […] Trouver cette femme […] Trouvez la femme” contrastant aussitôt avec “Welcome America […] Fuyez cette femme […] Fuyez LA femme”. Une dernière fulgurance électro disco pop pour se gausser allègrement du mythe de la fuite : “Regardez moi ce type il pense à l’Amérique”. C’est sur ce tempo fiévreux et épileptique que l’on quitte l’univers déjanté de La Femme.
La Femme. Jubilatoire et Démoniaque.
Et Culte avant l’heure.