Vingt-huit minutes de quiétude acoustique et intimiste. Le 3ème et dernier album de Nick Drake est une œuvre totalement épurée. La guitare s’érige ici en arc mélodieux à la poésie murmurée par ce jeune songwriter anglais au destin tragique. Écrire sur Nick Drake en 2017 n’est pas chose aisée… Bien qu’érigé sur le tard dans le gotha des plus grands songwriters de son époque, l’homme demeure un inconnu pour beaucoup. Sa courte carrière, achevée en 1974 à 26 ans n’aura pas connu le succès escompté. Comme Tim Buckley ( Jeff pater), cette non reconnaissance artistique aggrava considérablement une dépression qui le tenaillait déjà.
Nick Drake fait donc partie de cette caste des “beautiful losers”. Des animaux dangereux. Ils n’ont rien à perdre et livrent généralement avec la rage et la beauté du désespoir des chansons admirables. Tim Buckley, Gram Parsons, Peter Doherty, Syd Barret, Kris Kristofferson pour ne citer qu’eux sont de cette trempe. Avec son timbre vocal doucereux (assez spécial, pas du genre à plaire à tout le monde) façonné dans mouchoir de velours, Nick Drake a su sublimer l’art du songwriting folk. Dans un registre plutôt à rapprocher de l’école Leonard Cohen et Carole King. Sans effet de réverbération sur la voix. Juste à l’état brut. Les guitares tissent des accords et des boucles d’arpège sans fioritures. Elliot Smith saura grandement s’en inspirer à son tour.
“Pink Moon” est un album au son totalement dépouillé. Enregistré en deux jours. Une production signée John Wood, lequel a travaillé avec Fairport Convention et Cat Stevens et qui sait y faire pour ce qui est de coller aux tenants de la pure tradition folk. Guitare et voix. Aucun artifice. La mise à nu totale et parfaite. Ici on ne triche pas. L’exercice solo acoustique est par définition rare. Alors aujourd’hui ? Mais vous n’y pensez pas mon pauvre ami… Une performance d’un autre temps et que les gens d’aujourd’hui, “pressés”, papillonnant, gavés de sons synthétiques et d’auto-tune ne peuvent apprécier. Tant pis pour eux. Heureux les invités au repas de Nick Drake. Un festin artistique.
La chanson éponyme de l’album, Pink Moon ressemble à s’y méprendre à “One of These Thing Left” (album “Bryter Layter”). Des accords qui grattent fragilement la carcasse abîmée de Nick Drake. La seule ligne de piano du disque instille une mélancolie d’une simplicité désarmante. Il faut parfois peu de choses pour illuminer une chanson…
Sur Place To Be, le souffle éthéré de Nick Drake enveloppe les sens. Dès cette deuxième chanson, nous nous évanouissons doucement… Songes d’une nuit d’automne… L’esprit se fait volute de fumée. Tout est si paisible. Nick Drake murmure, susurre… Moment de répit dans une vie de meurtrissures…
S’élance une délicate introduction de guitare maniée comme une harpe. Au loin nous percevons des airs traditionnels celtiques dans le jeu et les sonorités des notes. C’était Road.
Which Will est du même acabit. Des chansons qui ne révèlent leur richesse et leur grâce qu’après de multiples écoutes. Simples en apparence. Perception erronée. Celui dui dit que ces chansons sont chiantes et faciles est un con. Un rustre. L’interprétation est absolument touchante. L’émotion est palpable. Les glandes lacrymales sont sérieusement mises à l’épreuve.
Même ce Horn si simpliste à l’écoute trouve toute sa place, tout son sens dans l’orchestration et le déroulé de ce disque. Ce sont des années et des années de tradition folklorique et pastorale qui teintent la résonance de chacune de ces notes aigrelettes.
Avec Thing Behind The Sun, Nick Drake accouche d’un chef d’œuvre. Une écoute qui fissure. La mélancolie des couplets est d’une violence totalement sourde et insidieuse.
Des racines soul & gospel embrassent Know. La guitare tourne en boucle sur un riff élémentaire. Nick Drake est d’humeur plaintive et je m’en foutiste dans sa façon d’y parler d’amour : “Know that I love you, Know I don’t care, Know that I see you, Know I’m not there”…
“When lifting the mask from a local clown, And feeling down like him. Take a look you may see me on the ground, For I am the parasite of this town”. Avec ces mots, Nick Drake ne voile en rien la dépression qui le tiraille. Parasite expire des mots cinglants et acrimonieux couchés sur une guitare laconique et lancinante. On jette alors un œil sur l’énigmatique et superbe pochette au style très “Dali” du disque (signée Michael Trevithick) et on regarde ce clown au regard abandonné… Pincement…
Free Ride dans une version électrique aurait des allures grandioses à la Steppenwolf. Chevauchée motorisée dans le désert. Percée dans le Grand Ouest. Mais dans son écrin folk, Nick Drake la pare d’atours qui font davantage penser à Love. Du folk teinté de circonvolutions latines calorifères.
Harvest Breed est une pièce de courte durée, plus proche d’un interlude sans grand intérêt dans ce disque qui a tout du chef d’œuvre.
Nick Drake s’efface sur un dernier titre. Le dernier de sa courte vie et carrière d’artiste… From The Morning. Une chanson qui parle d’amour. Les textes sont sublimes. Déclinés à la ronde avec la grâce d’un “blackbird” : “A day once dawned, And it was beautiful, A day once dawned from the ground, Then the night she fell, And the air was beautiful, The night she fell all around”.
Après ce troisième échec commercial, Nick Drake abandonne concerts et enregistrements. Introverti, vivant de plus en plus reclus, écœuré à l’idée de se produire en live depuis quelques temps déjà, il s’exile chez ses parents à la campagne. Il mourra en 1974 d’une overdose d’anti-dépresseurs. Un destin “freak” à la Syd Barret. Chacun léguant à leur manière une œuvre culte et intemporelle.
Un chef d’œuvre (quasi) oublié à découvrir très délicatement, sans précipitations.