Nous sommes le 16 février 2015. Le 2 mars exactement paraîtra la 2ème mouture de l’ex-leader d’Oasis qu’on ne présente plus. Il fallait donc sonner le bilan de sa première livraison publiée en 2011, enregistrée entre Londres et Los Angeles et produite par l’excellent Dave Sardy qui outre les deux derniers albums d’Oasis, officia sur ceux de Jet, Wolfmother, LCD Soundsystem, Cold War Kids, Dandy Wahrols, Marylin Manson,… Lorsqu’ Oasis explose en plein vol, les fans voire même ex-fans sont légions à attendre ce premier album avec une impatience à peine contenue. Certains bénissent même le ciel de voir enfin le cerveau d’Oasis accoucher de son premier opus, libéré de son frère et pouvant donc s’exprimer pleinement…
Le résultat est à la hauteur de toutes les attentes (et espoirs) placés dans ce grand songwriter typiquement british. L’attaque de l’album est majestueuse et épique. Une grande chevauchée de Walkyrie pop porte un “Everybody’s on the run” au sommet. La basse groove. La batterie frappe sèchement sans fioritures. Les arrangements sont grandioses (choeurs de la chorale Crouch End Festival Chorus que l’on retrouvera également sur “(I Wanna Live in a Dream in My) Record Machine” et “Stop the clocks”). Ambiance cinématographique du plus bel effet. Paul McCartney/The Wings en embuscade…
Noel Gallagher cultive son pré-carré qui fit de lui le faiseur de tubes d’Oasis. On y retrouve cette touche qui lui est propre : couplets mélancoliques / refrains héroïques. Efficacement redoutable. Pas d’avant-gardisme, le patron s’en moque. Il préfère aller chercher du côté de Ray Davies (The Kinks) pour shooter un “Dream on” rétro/vintage sixties. Pépite. Ambiance western pop. Le beat est sec, martelé, un piano bastringue, cuivres façon fanfare et Nouvelle Orléans, resucées de guitares au vibrato d’un autre temps. Le tout enveloppant un refrain homérique. Envie de danser, de tournoyer sur le sol pinte à la main et de se laisser happer par le final en fanfare de la chanson.
Mélancolie Northern Soul quand tu nous tiens… “If I had a gun” frappe dans le mille. Noel Gallagher sait y faire en matière de ballade au spleen le plus total. On regrettera cependant la production un peu trop exagérée sur ce joli titre qui aurait gagné en arrangements plus dépouillés. Surtout quand on écoute ceux pour le coup d’une beauté à couper le souffle sur l’extraordinaire “The death of you and me”. Toujours cette ambiance western, jazzy et fanfare qui habitait “Dream on” mais en plus solaire. Du Neil Young et Ennio Morricone dans l’air, toujours cette filiation des Kinks dont on ne se lasse pas. Noel Gallagher explore un son, une ambiance (trompettes, trombone, saxo,…) que l’on lui connaissait que très (trop) rarement avec Oasis (ex : “The importance of being idle”).
Avec “(I Wanna Live in a Dream in My) Record Machine”, le mancunien renoue avec son sens de la mélodie triomphaliste : orchestrations symphoniques, solo de guitare pentatonique plein de bravoure (on pense forcément à celui de “Don’t look back in anger”),… Il faudra attendre “AKA… What a life” pour le voir s’initier à un autre registre qui détonne relativement sur le disque : beat de batterie disco, riffs de guitare funky, basse et loop de piano au groove entêtant, sonorités electro,… Un cocktail étonnant façon Stone Roses jammant avec Paul McCartney et Coldplay.
Après cette parenthèse “moderne” et contemporaine, retour aux choses sérieuses et traditionnelles avec le brumeux “Soldier Boys and Jesus Freaks” qui convoque un chassé croisé d’influences allant piocher aussi bien chez les Kinks (la chanson “Dead end street”), Paul Weller et les La’s. Ritournelle entêtante emmenée par un piano électrique syncopé et une guitare tournant en rond. Une ambiance jazz pluvieuse et sinistre mâtine ce titre aux textes magnifiques et satiriques. Il y a du Burt Baccarach dans les volutes de cigare qui imprègrent la pièce…
Suit la joyeuse folk pop “AKA… Broken arrow” (très Paul Weller) qui chevauche une ligne de percussions aux racines latino-américaines (c’est d’ailleurs le notoire Lenny Castro qui s’y colle et qui travailla en studio pour les Stones, George Benson, Joe Bonamassa, Diana Ross,…) Pas indispensable mais sympathique. Rien à envier à l’excellente “Stranded on the wrong beach”, où un groove glam rock inquiétant teinté T-Rex glisse sous le chant murmuré de Noel Gallagher. Le refrain (une fois de plus épique) qui suit se fait presque hip hop dans le phrasé. La caisse claire claque, sautille pendant qu’un interlude de guitares slides distordues et lancinantes embrase la chanson dans son dernier souffle.
“Stop the clocks” clôt le disque. Une chapelle se construit au loin : Noel Gallagher prêche, réverbe au maximum dans la voix, les choeurs et les guitares. La tension se relâche, les navires rentrent au port, la bruine a cessé de foutter le visage… Avant un final explosif et psychédélique, aux allures baroques, un soupçon de folie, de cirque incontrôlable… Comme si tout le disque se rembobinait d’un seul coup. Et puis plus rien. Le néant. Brutalement, sans crier gare…
Avec ce premier solo, Noel Gallagher fascine dans sa capacité et son talent d’écrire à 44 ans des bijoux pop rock aux mélodies imparables tout en élargissant un peu plus son songwriting traditionnel à d’autres univers à l’image des multiples orchestrations jazz qui quadrillent son disque. Un petit chef d’oeuvre. Son meilleur travail depuis… 1995 et “What’s the story morning glory ?”.