Lorsque l’on atteint le sommet de son art, trois possibilités : 1/ rester dans sa zone de confort tout en tentant de rester au sommet 2/ expérimenter de nouvelles approches au risque d’opérer une sortie de route 3/ se saborder pour entrer dans la légende et laisser ses fans à jamais sur leur faim…
La première approche a réussi à ACDC, la deuxième option n’a pas réussi à U2 avec son album electro pop rock « Pop » en 1997, la troisième voie a intelligemment été embrassée par les Beatles. Oasis choisit la première approche, ce qui n’a rien de contestable. Sauf que l’avion va piquer du nez… dans un gros tas de cocaïne… Noel Gallagher dira plus tard : « Si vous voulez voir ce que produit comme effet la cocaïne, écoutez Be here now….Cela vous dissuadera d’y toucher… »
En 1997, après avoir pulvérisé tous les records tout en cumulant un nombre incalculable de frasques qui leur valut de se mettre le public américain à dos (tournées à moitié annulées, plantage de Liam Gallagher au moment de rentrer sur scène pour le MTV Unplugged, insultes et crachats sur scène aux MTV Awards,…), Oasis retourne en studio à Abbey Road pour mettre en boîte son troisième album. Un album dont les attentes sont énormes. Sony pense pourvoir faire vendre encore davantage que les 18 millions d’exemplaires du précédent disque ! Oasis, qualifié de « nouveaux Beatles », est gonflé à bloc. Ils triomphent à Knebworth devant 500 000 personnes à l’été 1996. Plus rien ne semble arrêter le rouleau compresseur mancunien.
Tous ces excès, tous ces égos surdimensionnés vont caractériser « Be here now ». Owen Morris, fidèle producteur aux commandes, dira par la suite que les sessions d’enregistrement étaient du grand n’importe quoi. Lui et les frères Gallagher ont le museau enfariné à la coke du matin au soir, perdant toute lucidité quant à la qualité des chansons. La production est globalement grossière. Le « wall of sound » érigé frise la boulimie : on compte parfois jusqu’à 30 couches de guitares sur un même titre. Noel Gallagher, défoncé jusqu’à la moelle, enquille solo, riff, solo, riff sur tous les titres sans que cela n’apporte grand-chose à quelques exceptions près. 11 chansons pour 74 minutes d’écoute… Quand on ne fait pas du Pink Floyd, cela n’a plus aucun sens…
Et pourtant il y avait franchement de quoi se régaler à l’image de Stand by me, superbe ballade au refrain fantastique mais massacrée par une production peu subtile qui électrifie la chanson alors qu’elle aurait dû emprunter les chemins de traverse de « Wonderwall ». Heureusement l’autre ballade échappe à ce traitement : Don’t go away, admirablement interprétée au chant, respire et laisse la part belle à la mélancolie.
On sauvera l’immense Fade in out du semi-naufrage, l’une des meilleures compositions de Noel Gallagher. Oasis s’aventure en terrain inconnu : intro de percussions et de guitares slides (Johnny Depp en guest) qui confèrent une dimension western remarquable au titre, avant qu’un hurlement ne plonge l’auditeur dans un apocalyptique trou noir où un Liam Gallagher possédé prêche avec rage au milieu d’un orage de guitares…
En revanche on passera son chemin sur les boursouflures punk peu digestes que sont My big mouth et I hope I think I know. Tout est exagéré, chansons à rallonge, boulimie de solos et riffs, saturation du son, aucune nuance… It’s getting better man et Be here now seraient à classer dans le même sac mais son solo et ses refrains sauvent un peu la mise pour la première, et la seconde enquille une mélodie entêtante à coups de marteau piqueur.
Magic pie où Noel Gallagher officie au chant est une tentative psyché pop ratée malgré une bonne intro. The girl in the dirty shirt est d’un total ennui à l’exception du sympathique final bluesy au clavier. Le premier single, D’you know what I mean, qui sample le groupe hip hop NWA, est en revanche une réussite malgré sa longueur. Sons d’hélicoptères en intro, refrain de stade, solo wah-wah inspiré, basse qui groove impeccablement bien, l’ouverture du disque laissait donc présager du meilleur avec un son renouvelé chez Oasis.
A l’image du dantesque All around the world, hymne ersatz de « Hey Jude » s’étirant sur 11 minutes orgiaques (!!) de cuivres et cordes, « Be here now » est l’incarnation même du pétage de plombs, le couronnement de la démesure et du bordel rock maximal façon « Spinal tap »… Tout est permis ! Lorsque D’you know what I mean ? ouvre l’album sur un blitz d’hélicoptères dans le genre « The wall » de Pink Floyd, on sait tout de suite que les cinq mancuniens ne vont pas faire dans la demi-mesure. Incapables de contrôler un bolide lancé à 300 km/h… C’est aussi ça le rock, faire n’importe quoi… Grisés par un succès phénoménal jusqu’alors, adulés en leur pays et ailleurs (Japon, Mexique, Argentine, Italie, Espagne, Australie,…) les cinq musiciens enfermés dans leur tour d’ivoire ratent (de peu) la chevauchée fantastique avec cette troisième livraison. Noel Gallagher le reconnaîtra lui-même plus tard : « Nous aurions dû prendre des vacances, laisser la pression redescendre et rentrer en studio bien plus tard avec une idée précise de ce que l’on voulait faire. Au lieu de ça, nous avons bâclé le travail et notre management ne nous a pas aidés. Ils étaient aussi raide défoncés que nous… Les gens nous attendaient au tournant et nous avons lamentablement échoué. Mais l’époque que nous vivions depuis 3 ans était tout simplement folle… »
Maintenant avec le recul, l’album ne semble pas daté. Si vous voulez vous faire un shoot de junk rock bien gras, vous en aurez pour votre argent. La moitié des compos est bonne et le chant est parfait (seule réussite totale de l’album). Malgré 8 millions de ventes, cet album sera considéré comme un échec, le groupe perd la moitié de ses fans, se discrédite ad vitam eternam aux USA et amorce une traversée du désert de cinq ans avant de revenir au premier plan en 2002. Le même été de la sortie de « Be here now », Radiohead déploie « Ok computer » et préfigure un changement d’époque pour le rock. Place à la noirceur et l’avant-gardisme.