Le Rimbaud/Beaudelaire du rock anglais est de retour, 7 ans après son premier disque qui nous avait beaucoup séduit. Une folk pop rock construite sur le fil du rasoir. Une musique bancale et funambule, pleine de charme et de sincérité. Avec son deuxième opus, “Hamburg Demonstrations”, Peter Doherty renoue avec les mêmes ficelles. Rien de nouveau si ce n’est une tendance un peu plus électrique sur les chansons par rapport à “Grace/Wastelands”, son premier disque illuminé il est vrai de la présence de Graham Coxon (Blur) en accompagnement sur tout le disque. Non cette fois c’est Johan Scheerer (qui a travaillé notamment avec Bosnian Rainbows) qui officie à la production et enregistre le disque en Allemagne à Hambourg.
Kolly Kibber, une entame de guitare sèche hispanisante et c’est parti, Doherty et son timbre de desperado abîmé par le bourbon et la clope nous saisit irrémédiablement à la gorge. Un piano martèle en toile de fond jusqu’au délicieux pont à 02’13 où les chœurs illuminent à la bougie cette petite chapelle folk ponctuée de réminiscences slaves érigée par Peter Doherty. Une excellente ouverture pour lancer l’affaire. Down for the Outing s’élance sur un rythme à la mécanique claudicante. Les guitares et les violons défouraillent et moulinent tels des Don Quichotte. Tout est brinquebalant dans cette ballade éclairée à la lumière des ténèbres. Un road movie déglingué façon “Down by Law” de Jim Jarmusch. Alors que la procession des caravanes fantomatiques qui hante l’esprit abîmé de Peter Doherty s’enfonce dans la nuit noire, Birdcage s’élance triomphalement dans les cieux. Les textes ont été écrits par Amy Winehouse dont Doherty était très proche. Suzi Martin l’accompagne sur ce duo. Deux voix fragiles qui parlent de romance impossible avec un timbre flirtant avec un héroïsme déchu.
Hell to Pay at the Gates of Heaven rend hommage aux massacres du Bataclan de novembre 2015. Une image me vient en tête : “La Liberté guidant le Peuple” de Delacroix. Avec Doherty bravant l’ennemi le pistolet à la main trainant sa Marianne dans le sillage. Une tournerie country aux teintes folk irlandais qui crache à la gueule de ces fanatiques. L’instrumentation country n’est pas sans ironie. Comme si la grande roue de la vie était impossible à stopper. La main fermement serrée sur la manivelle de cette boîte à musique, Doherty invective, conspue et cingle cette horreur absurde avec un phrasé typique transpirant la bile dans chaque syllabe éructée avec hargne et mépris.
De tristesse infinie et désarroi il en est question sur Flags of the Old Regime qui rend hommage à Amy Winehouse. Chant éreinté. Intimité macabre. Le son des guitares est halogène. Chaque vibrato agit comme un dernier soupir. La ballade I Don’t Love Anyone (But You’re Not Just Anyone) se dresse à la lumière de l’automne. Soleil pâle. Cœurs écornés. Violons languissants et pastoraux. La chanson se laisse aller à emprunter sur la fin l’air d’une marche militaire des plus connues, “When Johnny Comes Marching Home”, autrefois entonnée par l’armée de l’Union lors de la guerre de Sécession américaine.
Suivent deux titres un peu pénibles… Où Doherty pousse à l’excès la chansonnette déglinguée… Sur A Spy in the House of Love, Doherty baragouine tel un poivrot pendant que son groupe l’accompagne sur un rythme alambiqué. Ambiance éthylique. La raison est sabordée. Si bien sabordée que même Doherty saborde la chanson en fin de titre en interpellant l’un de ses musiciens pour lui signifier d’arrêter de jouer : “there is no ad lib”… Symbole d’un univers Dohertien qui ne cesse jamais de tituber. Mais avec une grâce certaine. Splendeur des héros égarés dans le brouillard. Oily Boker s’enfonce dans un dédale sans issue. Les guitares tricotent des airs flirtant avec les fausses notes, un couple hurle en milieu de chanson, un harmonica mal accordé tiraille ci et là… Tout est confus, désuet et nauséeux.
The Whole World Is Our Playground et son banjo enjoué nous ramène sur les rails. Un titre style blugrass qui nous emmène à dos d’âne vers des terres criblées par un soleil rouge sang. Une guérilla absurde. Pancho Villa plane au-dessus des mortels affalés dans des mares de Téquila… Don Quichotte gagne le dernier rivage de son périple. Il a traversé une humanité cerclée d’ombres, essuyé le sang sur ses éperons, bravé l’amour impossible, écumé ses sanglots à travers des litres de d’alcool, insulté la Grande Faucheuse… Et s’affale, épuisé, sur les marches de She is Far. Dernière ritournelle country acoustique où les instruments à corde offrent un final digne à l’un des plus héros les plus tristement magnifiques et désabusés du Rock britannique contemporain. Peter Doherty. 37 ans. Un sabre dans la main gauche. Une bouteille dans l’autre.