Mitraillette sur la caisse claire. Les coups claquent comme les canons fumants d’une Amérique en ébullition après moins d’un an de mandat Donald Trump. Radical Eyes ouvre l’insurrection. Nous sommes en terrain connu. Pour faire simple ce “Prophets of Rage” est un disque de Rage Against The Machines avec 2 légendes vivantes du Hip Hop. La touche instrumentale des ex-Rage Against The Machines (Tom Morello/guitare, Tim Commerford/basse et Bard Wilk/batterie) refait surface avec une familiarité qui ne nous a jamais vraiment quitté. Zach de la Rocha au chant n’est pas de la partie. Chuck D (Public Enemy) et B-Real (Cypress Hill) empoignent le micro. On a donc trois gâchettes exhumées de l’un des ex-plus grands groupes de rock des années 90 prêtant leur artillerie à deux des plus grands cadors du hip hop US des années 90.
Les supergroupes (formés de grosses pointures issues d’une carrière solo émérite, de grands groupes ou collectifs artistiques) sont généralement une déception. D’une part parce que l’attente est immense. Comme si le graal s’offrait à nous. Et que l’alliage des meilleurs métaux devait naturellement se transformer en or.
En l’occurrence cet album éponyme de Prophets of Rage a transformé l’essai avec la manière. Le combo des ex-RATM n’a rien perdu de son punch. Les lignes de basse de Tim Commerford sur un titre comme Unfuck The World sont parées d’un groove impeccable. Tom Morello sort de son chapeau des sons de guitares toujours aussi extraterrestres comme à la grande époque de RATM. Comment ne pas dire Amen au solo futuriste, déjanté de Unfuck The World dont les dernières notes résonnent comme une déflagration d’AK 47. Ces mêmes coups lâchés par le flow “sniper” du tandem Chuck D et B-Real qui se fond parfaitement dans l’instrumentation incendiaire des trois ex-RATM.
Un disque résolument rageur. Porté par son époque. Tirant à boulets rouges sur une Amérique malade. Il y a en effet de quoi noircir et noircir des pages entières de textes. Chaque mot scandé par Chuck D et B-Real est un silex aiguisé qui ne manque pas d’atteindre sa cible. Une rafale de tirs de précision. Avec cet énergumène de Donald Trump évidemment en cible privilégiée. “Prophets of Rage” tire l’alarme sur Fired A Shot. La guitare de Tom Morello se transforme en sirène. Le flow légionnaire des deux rappeurs rebondit sur une basse reptilienne. Du grand art. On retrouve cette même ambiance “commando” sur Hail To The Thief dont le message anti-establishment certes démagogique fait mouche en terme d’énergie. Entre quelques scratches, Brad Wilk fait parler la poudre en mettant “cha-os” les fûts de sa batterie. Sur le ring, Chuck D et B-Real haranguent une armée des ombres prête à fondre sur le Capitole. Le ciel est rouge et noir.
Tiens… Tom Morello brode une introduction sicilienne sur les premières notes de Take Me Higher. Et soudain clac. Cocotte funk “made in” Red Hot Chili Peppers sur lequel vient se caler un malicieux flow hip hop old school (Bestie Boys anyone ?) Un gros solo de “shreder” tronçonne la missive dans laquelle le groupe se déchaîne contre les drones. Strenght In Numbers assène une violence rythmique nucléaire qui ravira les fans de RATM de la première heure. Avec un incroyable gimmick funk menaçant de Tom Morello sur les couplets. Jamais le terme “cocotte funky” n’a sonné aussi juste à l’écoute de ce son si atypique délivré par le guitariste.
On passera notre tour sur Legalize Me et son insupportable chant filtré au vocoder. On se prêtera en revanche bien plus au jeu du “head banging” sur Living On The 110 où le groupe entremêle intensité dramatique et uppercuts pour éveiller les consciences dans ce monde qui vrille de façon accélérée. Les Prophets Of Rage ne relâchent jamais la pression. Who Owns Who est une enclume, un char d’assaut en croisade contre l’impérialisme occidental décadent, naviguant entre les sons dézingués et apocalyptiques de Tom Morello dont la guitare semble comme schizophrénique. Des sons venus de nulle part et qui font penser à ceux de Jamie Hince de The Kills.
La fin de l’album commence à fatiguer un peu l’ouïe avec des refrains scandés de façon peu originale… Hands Up tourne en rond tout comme la rythmique martelée par le groupe. Smashit décoche un dernier crochet du gauche dans la poire. Avec les mêmes travers que son prédécesseur. Le filon artistique du disque ayant déjà été bien usé.
Un bon disque. Ultra énergique. Douze titres au vitriol. Douze ogives inégales mais qui ne manquent pas de sève et de venin. Un tapis de bombes sur l’oncle Donald Trump qui aura au moins eu le mérite de réveiller une Amérique léthargique sur le plan de la scène musicale contestataire depuis Green Day et son “American Idiot” paru il y a déjà treize ans et donc Bush Jr était la cible. Décidément les Républicains sont une source d’inspiration intarissable… Et cela dure depuis Nixon.