Il y eu Melody… puis Marilou…
Il s’agit du 4ème concept album du grand Serge et de son 13ème album studio paru en 1976. La critique et le public lui réservèrent à sa sortie un accueil plutôt froid… Il fut réhabilité bien plus tard et considéré comme un disque majeur dans la carrière de Gainsbourg et plus généralement dans la chanson française.
Gainsbourg y narre l’histoire d’un pauvre hère “moitié légume/moitié mec”, “à tête de chou”, chroniqueur pour un canard à scandale. Le bougre tombe éperdument amoureux d’une “shampouineuse”, Marilou, lors d’un passage chez le coiffeur. S’ensuit une folle odyssée érotique qui vire au drame. Manipulé par cette créature de rêve, il se fait balader. Il la surprendra au lit avec deux hommes. Claque. Biture. Mépris. Jalousie. Rage. Il comment l’irréparable et tue Marilou d’un coup d’extincteur sur le crâne. Accablé par son geste, la folie s’empare de lui. Un asile psychiatrique constituera sa dernière demeure. Là il se confesse à un “Doc”… Écoute attentive, c’est parti…
L’homme à tête de chou : c’est comme si le diamant du vinyle avait quitté « Melody Nelson » pour enchaîner sur cet album. Même ambiance cinématographique, une atmosphère façon néo-western, des textes digne de Michel Audiard. La guitare taille des ondes sinusoïdales hitchcockiennes dans le roc, l’orgue funèbre embrasse un piano solennel, au service du timbre inimitable de Gainsbourg. Introduction narrative. Portrait de notre amant, futur criminel.
Chez Max coiffeur pour hommes : la chanson progresse sur le même écrin que la précédente mais gagne en ondulations langoureuses. Gainsbourg abat sa gouaille sur des textes qui gagnent peu à peu en érotisme, pendant que la guitare le cheville au corps, serpentant, telle la chevelure dense et labyrinthique de Marilou (“chienne shampouineuse”) avec coquinerie chaque voyelle et consonne. Du phrasé de plus en plus chuinté de Gainsbourg transpire une soudaine effusion hormonale chez le narrateur.
Marilou reggae : un reggae tout en volupté. Un Gainsbourg canaille scande un flow lascif sur un tempo haletant tout en coups de rein. Les paroles sont d’un érotisme prodigieux : “Changer vitesse, changer braquet et décoller avion Breguet. Quand Marilou danse reggae, elle et moi plaisirs conjugués, en Marilou moi seringué, faire mousse en merengue.”
Transit à Marilou : dans la nuit moite et charnelle, notre homme à tête de chou lâche prise dans un incroyable périple lubrique. Un trip en avion pour l’allégorie. “Aéroplane, vieux coucou, dont l’altimètre se déglingue, c’est à peine si je distingue les balises du terrain où je me pose en casse-cou […] Une haleine de peppermint m’envahit le cockpit, je me sens vibrer la carlingue, se dresser mon manche […] une voix cunnilingue me fait glouglou, je vous reçois cinq sur cinq”.
Flash forward : “je sens mon rythme cardiaque qui passe subitement à Mach 2”. Le disque déroule une totale imagerie de débauche. Notre homme à tête de chou découvre sa scandaleuse Marilou chevauchée par deux hommes : “elle semblait une guitare rock à deux jacks”. Effroi. La guitare et le clavecin se font scies, usinant sans relâche cet amant cocufié, électrocuté par cette vision d’horreur et de perversité absolue : “elle était entre deux macaques, du genre festival façon Woodstock”… Gainsbourg a le génie des tournures. Et cette façon qu’il a d’imprimer chaque syllabe est pure merveille.
Aéroplanes : embarquement jazz rock digne d’une BO de film porno. Gainsbourg déblatère sur un beat évanescent et lascif. Séquence aux guitares gémissantes. Face à la dépravation de Marilou qui va “de liane en liane”, notre narrateur se trouve dans une profonde détresse, humilié par sa Marilou qui le traite de “fauché, plouc, minable, abominable bouc”…
Premiers symptômes : dans la jungle animale, notre bougre vomit sa bile : “j’ai ressenti les premières atteintes du mal sous les sarcasmes de Marilou […] je vomissais mon alcool et ma haine […] les petits enfants riaient de mes oreilles en chou-fleur, j’avais pris peu à peu la tête d’un boxeur…” Une guimbarde rivée sur des percussions tribales achèvent de conférer à l’ensemble tout ce qu’il faut d’effluves nauséeuses.
Ma Lou Marilou : du rockabilly pour mettre en litanie les sentiments acerbes du narrateur pas avare en menaces prophétiques: “si tu bronches je te tords le cou […] tiens toi à carreau, la vie est brève […] un faux-pas et te voilà au trou”. L’ironie de la rythmique légère et sautillante contraste avec la noirceur du propos. Une ironie rythmique qui exprime une nervosité couleur rire-jaune désabusé face à une situation aussi dramatique que grotesque pour notre amant meurtri.
Variations sur Marilou : “dans son regard absent et son iris absinthe” susurre Gainsbourg. Magie des mots. Éclat poétique. Sur plus de 7 minutes de descente prog rock feutré, Gainsbourg érige une ode à l’érotisme d’une beauté stupéfiante. Le tempo accélère à mesure que Marilou se procure des plaisirs solitaires : “perdu dans son exil physique et cérébral, un à un, elle exhale des soupirs fébriles parfumés au menthol […] Arrivé au pubis de son sexe corail, écartant la corolle, prise au bord du calice de Vertigo, Alice […] s’enfonce au pays des malices de Lewis Carrol […] cette narcisse se plonge avec délice dans la nuit bleu pétrole de sa paire de Levi’s, elle se self-contrôle son petit orifice […] sur fond de rock and roll”.
Les vers de chaque ligne de texte se lovent dans des consonances en “l” et en “is”, répandant ainsi exhalaisons sulfureuses et libidineuses. Gainsbourg construit un imaginaire érotique en faisant du pays des merveilles de Lewis Carrol un lupanar où les icônes rock (Elvis,Alice Cooper, Jimi Hendrix, Lou Reed, T-Rex, Rolling Stones) se succèdent dans l’imaginaire rock de la “baby doll” Marilou. Un exercice de style érotico rock en forme de chef d’œuvre.
Meurtre à l’extincteur : un prélude narratif à ce qui suit. Ivre de fureur et douleur, notre narrateur aligne sur le sol d’un coup de boutoir Marilou… avec un extincteur pour “éteindre le feu au cul de Marilou”. Il recouvre son corps avec la neige carbonique de l’extincteur.
Marilou sous la neige : l’une des chansons les plus poignantes de Gainsbourg et de la chanson française se trouve ici. “Lorsque je me vis exclu de ses jeux érotiques, j’en fis une maladie” chante Gainsbourg sur cette ballade aux guirlandes acoustiques chaloupées.
Lunatic Asylum : en proie à la folie, notre narrateur est interné “dans cette blanche clinique”. La guimbarde lancinante et les percussions métronomiques qui l’accompagnent instaurent un climat oppressant total. Gainsbourg souffle chaque mot avec une fébrilité inquiétante, froide, machinale… Gainsbourg s’empare d’un timbre de voix au soupir clinique et funeste, ponctuant l’album d’un dernier “Marilou” crépusculaire.