Un album plus décousu, mais aussi plus dévasté. Le 3ème en date (et la fin de la trilogie fantastique) qui voit un Morrison moins fringuant, plus anéanti par ses frasques, et les Doors plus dissociés. Qu’importe, quand ils sont là, ils composent, jouent et chantent l’amour/le désespoir et nous envoient ce serpent de mer. Le plus court album des Doors. Souvent le plus décrié. Ben non. Orgue distordu, fuzz qui couine. Les Doors frappent fort d’entrée de jeu. Ce “Hello I Love You” est tout sauf linéaire. Un pont par-ci, une recharge de batterie par là, trois ou quatre beuglements. C’est plié. Bienvenue.
Glissé de corde hésitant, ah l’amour ! Petite ballade sympathique avec jardinet, bonheur idéalisé sur fond de soupe pop. Mais non, reprenons nous. A bien y écouter, “Love Street” est géniale. On aurait simplement bien refait une piste de guitare folk tant le son sonne bontempi. Bon, tant pis. Les oiseaux volent et roucoulent.
Et nous nous enfonçons dans les méandres de la Terre. “Not to Touch the Earth” est dérangée, cinématographique, course poursuite effrénée, évitement d’embûches. Le temps essaie de rattraper le coureur à grandes enjambées. Ça swingue, ça tangue, mal de mer de marin d’eau douce. Le meilleur commence à 2’34 pour terminer en effroi. Initialement, l’album devait s’appeler “Celebration of the Lizard” dont il ne reste que les cendres centrales sur “Not to Touch the Earth”.
“Summer’s almost gone” est une boîte à musique classique du poète Morisson et ses acolytes chevronnés. Guitare slide, rhodes. Tout tourne gentiment autour d’une mélodie crooner. L’instrumental impose une pause symphonique où tout fait du sens.
Plus grandiloquent, “Wintertime Love” rassemble les spectateurs du théâtre d’un guignol doué. Les Doors se mettent en scène avec l’apparât baroque. Clavecin. Shuffle de basse, claque de cymbales. Rideau rouge.
Puis, place au mystère. L’inconnu, qui fut soldat. Résonnez, fanfare maléfique. Marche militaire et cri de guerre. Le suspens est haletant. Le coup de feu part et emporte dès lors le titre ailleurs (2’00). Confusion psychédélique d’une foule déchainée. The war is over, paraît-il…
Joyau et emprunt précis à Asturias d’Albéniz, l’esprit se fait classique et romantique. Le jeu à plusieurs guitares élève le jeu et la mélodie répond à un accompagnement flamenco. Matador. Caravane Espagnole. Le décor est planté sans roulement de glotte. Puis s’illuminent la guitare fuzz et la marche militaire épileptique. Un tour de force en moins de 3 minutes.
“My Wild Love” est lancinante et tribale. Percussions ou machines à sous. Les claps ajoutent à l’effet de clan. La chanson que je propose pour le haka de la Nouvelle Zélande en représentation officielle. Impressionnante.
Influence des Beatles? “We could be so Good Together” raconte une histoire. Chaloupée comme un bon Taxman. En moins fouillée, par ailleurs.
“Yes, the River Knows” est plus intérieure. Un piano-bastringue de saloon qui l’accompagne, une parenthèse enchantée à l’aigu. Mais pas le meilleur titre des Doors.
Tiens, tiens, j’entends du Eels. En plus fanfaron et démonstratif. Le solo bluesy Hendrix-style est parfait. Et un très bon titre de cloture. “Five to One”. Il n’en restera qu’un. Vous.
Et c’est presque cela. Le contexte d’enregistrement de cet album rafistolé est particulier. Morisson est mal, au plus bas. Ses intentions de se retirer du paysage musical grandissent. Et pourtant, cet album résonne encore. Culte par la maturité, la recherche et la variété. Culte par la narration et la maîtrise technique. Culte par l’alternance géniale de l’amour et de la chute.